Suivant les travaux originaux de Wolff dans les années 1950, la migraine a été considérée jusqu'à récemment comme une affection des vaisseaux sanguins du crâne et du cerveau.
En effet, le chercheur avait observé en cours de crise migraineuse une dilatation des vaisseaux sanguins à la tempe de ses patients. Il avait aussi noté que l'administration d'ergotamine, alors médicament de choix pour le traitement de la migraine, s'accompagnait d'une perte de cette vasodilatation, puis d'une vasoconstriction subséquente et, enfin, de la disparition de la douleur migraineuse.
La douleur migraineuse était donc associée à une dilatation des vaisseaux sanguins, donc une condition primaire propre à ces derniers. Wolff avait aussi conclu, en tentant d'expliquer les phénomènes liés à l'aura, qu'une vasoconstriction initiale des vaisseaux sanguins cérébraux était vraisemblablement responsable de la phénoménologie propre à l'aura.
Donc que la migraine débutait par des phénomènes de constriction initiale des vaisseaux sanguins cérébraux, suivis d'une dilatation réactionnelle accompagnée de douleur. Cette conception, malheureusement, perdure parfois d'une façon très ancrée, même dans certains cercles médicaux.
Comme nous l'avons expliqué plus haut, la migraine est d'abord un phénomène qui trouve son origine dans la substance du cerveau.
L'apport sanguin au cerveau est contrôlé par l'activité métabolique de celui-ci à tout moment. Ainsi, dans le cerveau, si les zones du langage s'activent, on pourra mesurer dans ces mêmes zones une augmentation du débit sanguin cérébral pour répondre à la demande énergétique. Le débit sera augmenté selon l'activation du centre du langage. De la même façon, lors du déroulement du processus migraineux, au début de l'aura, et en parallèle avec l'augmentation de l'activité cérébrale dans les zones visuelles du cerveau, on observera une augmentation du débit sanguin cérébral dans ces mêmes zones (vasodilatation).
Celle-ci sera suivie d'une baisse du débit sanguin, en coïncidence avec la panne cérébrale observée au cours de la phase négative de l'aura (vasoconstriction).
Le débit sanguin cérébral augmentera par la suite vers des valeurs se situant audelà de celles servant de référence de base, possiblement pour compenser.
Les travaux d'Olesen ont permis de démontrer que la douleur migraineuse débutait déjà en phase de débit sanguin cérébral bas et qu'elle cessait avant même la fin de la phase de débit sanguin augmenté.
Il devenait donc clair que la douleur migraineuse n'était pas liée de façon directe strictement à la vasodilatation sanguine et que d'autres mécanismes devaient être évoqués pour l'expliquer.
Comme nous l'avons mentionné plus haut, les vaisseaux sanguins du cerveau, et plus particulièrement les vaisseaux sanguins des méninges, sont entourés de terminaisons nerveuses. Lorsqu'elles sont activées, elles véhiculent l'information douloureuse jusqu'à la base du cerveau.
Le travail de Moskovitz, principalement, a démontré que l'activation de ces terminaisons nerveuses s'accompagne d'une libération d'une série de petites protéines (CGRP, Neurokinine A, etc.) qui engendrent une inflammation des vaisseaux sanguins, ce qui coïncide avec l'apparition de la douleur migraineuse. Moskowitz a aussi prouvé qu'en bloquant certains récepteurs de ces terminaisons nerveuses, on pouvait prévenir l'inflammation et, de là, la douleur migraineuse. Ces récepteurs sont sensibles à la sérotonine. On avait effectivement démontré antérieurement que l'infusion de sérotonine pouvait faire avorter une crise migraineuse. Toutefois, cette infusion provoquait une série d'effets secondaires, rendant impraticable toute approche thérapeutique dans cette voie.
L'étude des récepteurs de la sérotonine répartis un peu partout dans le corps humain a permis d'en démontrer plusieurs sous-types. Ainsi, on a pu identifier des récepteurs spécifiques des vaisseaux sanguins, des méninges et de leurs terminaisons nerveuses; ce sont les récepteurs 5HT1B et 5HT1D. Les chimistes sont parvenus à synthétiser des molécules agissant spécifiquement sur ces récepteurs, bloquant de fait la réaction inflammatoire et prévenant l'apparition de la douleur migraineuse. Une nouvelle famille d'agents antimigraineux spécifiques, les triptans, dont l'usage s'est largement répandu en clinique dans le traitement de la migraine, était née.
Les modifications du calibre des vaisseaux sanguins du cerveau en cours d'attaque migraineuse sont donc la conséquence de la migraine et non sa cause. Il est connu cependant de longue date que ces modifications de calibre peuvent, dans des cas particuliers, entraîner chez les migraineux un risque accru de thrombose cérébrale. On parle ici des facteurs de risque de maladies cérébrovasculaires existants (hypertension artérielle, diabète, hypercholestérolémie, tabagisme, sédentarité, usage d'anovulants oraux).
Au fil des lignes précédentes, nous vous avons exposé l'évolution des concepts dans la compréhension de la migraine. Nous avons tenté de vous démontrer que la migraine est d'abord un phénomène provenant du cerveau, avec des changements vasculaires secondaires; c'est-à-dire où le système vasculaire cérébral répond aux besoins précis de cet organe à tout moment et transporte les signaux de détresse, donc la douleur, de concert avec les enveloppes du cerveau, les méninges.